Test de Astria Ascending - Fresque Fluctuante
De l'allitération sur laquelle repose son titre, aux grands noms japonais qui ont œuvré sur son scénario et sur son rendu visuel comme sonore, Astria Ascending revendique une filiation avec les chantres du JRPG. Difficile toutefois pour une production indé, réalisée par une petite équipe franco-canadienne, de tenir la dragée haute à ses illustres ascendants.
Bourlingueur Bancal
Artistiquement, Astria Ascending se démarque avant tout par ses visuels épatants. On évolue au sein de décors façon aquarelle très riches, notamment dans les villes, et le look des personnages principaux est particulièrement réussi - bien que celui des antagonistes soit un peu moins inspiré. Les développeurs cherchaient à mettre en jeu des artworks, le défi relevé avec brio!
L'histoire s'avère plutôt originale. On incarne la brigade des 333è demi-dieux, huit individus choisis parmi les huit races du monde pour protéger l'harmonie pendant 3 ans... avant de mourir. Bien entendu, on se rend petit à petit compte que cette harmonie ne tient qu'à un fil et que des dissidents préfèreraient remplacer l'harmonie par le chaos. Si ce résumé semble un tantinet manichéen, c'est pour éviter le spoil. Le titre s'avère assez profond dans le traitement du sujet et se montre même très intimiste en abordant les enjeux de notre équipe, dont les personnages sont bien plus diversifiés que les habituels groupes d'adolescents. Toutefois, l'ensemble est pénalisé par la profusion d'éléments inconnus du joueur et pas du tout expliqués - au point qu'il faille souvent prendre des notes pour ne pas tout mélanger.
On déplore surtout la grande mollesse de la narration. Le titre s'avère extrêmement bavard et si les doublages anglais comme japonais sont exemplaires, la réalisation en 2D de profil ne permet aucune mise en scène ni jeu d'acteur. Le joueur se retrouve à écouter passivement des dialogues face à des plans fixes et des personnages figés. De plus, il est impossible de sauter une phrase qu'on aurait déjà lue en parallèle dans la bulle de texte : il faut soit écouter toutes les tirades en entier, soit sauter toute la cinématique. Difficile de ne pas perdre le fil dans ces conditions. En outre, on se demande pourquoi notre équipe est systématiquement à gauche dans les scènes de dialogue et se situe à droite pour les scènes de combat. Ça crée une discordance qui aurait facilement pu être évitée.
Plutôt que de tenter d'imiter les cinématiques des jeux 3D, Astria Acending aurait sans doute gagné à puiser dans les atouts de son visuel 2D pour proposer une narration plus directe et mieux rythmée. Par exemple, sauter la partie vocale pour viser un rendu BD, avec des visuels en cases, plus dynamiques, contrôlés par le joueur m'aurait semblé plus efficace, plus lisible et plus en phase avec les ambitions artistiques du titre, tout en donnant matière à proposer des rebondissements moins statiques dans leur mise en scène.
On note aussi une certaine dissonance auditive. Les musiques sont très réussies - elles sont même fantastiquement mémorables - mais elles ne sont parfois pas du tout adaptées à l'action choisie par le joueur. C'est visible dès qu'on nous donne le contrôle au début du jeu : nous devons aller de toute urgence explorer la source des Peyskas et le déplacement s'accompagne alors d'une musique stressante. Toutefois, si on préfère visiter la ville, parler aux NPCs pour entamer les quêtes, revoir les tutoriels qu'on nous a exposés, jouer aux cartes ou encore regarder dans nos menus les compétences objets, on reste bloqué avec cette musique pas du tout adaptée. Si le choix est laissé au joueur, il faut que le jeu en tienne compte.
Finalement, le récit trébuche aussi bien pour mettre en place ses enjeux que pour maîriser son rythme. Le début de l'aventure m'est apparu comme extrêmement confus en posant un peu en vrac sur la table tous les éléments qui organisent son monde. Dans un deuxième temps, quand tout a commencé à devenir plus limpide - voire prévisible - j'ai considéré la confusion initiale comme une façon originale de présenter les enjeux - avant de me rendre compte dans un troisième temps que le jeu ne savait tout simplement pas bien raconter son histoire. Astria Ascending nous arnaque un peu trop, car priver le spectateur d'éléments que connaissent les personnages n'est jamais un ressort narratif satisfaisant pour créer de la profondeur. On relèvera aussi l'incohérence d'équipiers qui depuis trois ans se destinent à mourir ensemble, mais qui n'ont jamais rien partagé de personnel et se découvrent par exemple un oncle pour faire avancer l'histoire.
Complexité Complexée
Au niveau gameplay, on retrouve exactement le même biais, celui de rendre inutilement complexe des choses simples pour donner une illusion de profondeur. Les donjons en sont un excellent exemple. Le joueur se déplace dans des environnements en vue de côté, composés de salles à tendance labyrinthiques. Cependant, on se rend rapidement compte que les environnements sont très simples à lire, mais complexifiés parce que la carte crée de la confusion en affichant les salles de gauche vers la droite ou en créant une pseudo-profondeur d'affichage avec des chemins qui se croisent sans aucune raison logique.
Les designers ont volontairement choisi de présenter une carte dans le désordre pour rendre complexe la lecture de lieux qui s'avère somme toute simple. C'est une arnaque de game design malvenue.
La progression des personnages est du même acabit, il y a une surcouche de complexité apparente, rajoutée à des systèmes simples. La progression sur des schémas dont on débloque les nœuds en dépensant des points est classique et efficace, à part les chemins qui ne sont pas très lisibles et nous induisent en erreur. Les compétences passives doivent être équipées dans un autre menu. Il faut certains objets assez rares en début d'aventure pour débloquer les nœuds de stats, ce qui bloque notre progression. On a sans cesse l'impression de se prendre les pieds dans une racine alors qu'on est face à un système vu et revu, d'autant qu'on ne peut pas revenir sur nos décisions pour corriger nos erreurs.
Ça se complique quand on rajoute les premiers jobs, qui peuvent si on fait le mauvais choix changer radicalement l'orientation de notre personnage. Par exemple, en souhaitant rajouter des buffs élémentaires à mon voleur, je l'ai en fait transformé en magicien - qui plus est un magicien aux sorts médiocres et aux coûts en MP exorbitants à ce point de l'aventure. J'ai perdu ses points forts, sa capacité à utiliser une arme, pour me retrouver avec un perso globalement inutile - qui paradoxalement avait de meilleures stats que mon mage noir.
Ces jobs étant expliqués par une description sibylline, il faut soit aller dans le codex pour se farcir la liste de toutes les compétences, soit affecter des jobs pour consulter les arbres et recharger sa partie. Ce choix qui devrait être soit intuitif soit documenté se finit sur un classeur Excel de l'enfer. Sans compter que le changement de job change aussi le look de notre personnage dans les combats - mais pas dans les cinématiques. C'est à la fois dommage et bienvenu, car je trouve les looks originaux bien plus réussis que ceux des jobs.
Le pire est toutefois à venir avec le job secondaire, qui est beaucoup mieux traité que le job principal : les nœuds de stats sont absents de l'arbre de progression et on peut donc accéder beaucoup plus rapidement aux compétences que pour le job principal. Il faut donc choisir un job principal qui correspond aux stats et au style de votre personnage, puis un job secondaire avec les compétences qui vous intéressent, alors qu'on aurait tendance à faire l'inverse : si vous voulez les gros sorts de soin, ne choisissez pas mage blanc en job principal.
Le problème de fond, c'est qu'il n'y a aucun moyen de revenir sur ces choix faits à l'aveugle. C'est bien dommage, car si d'une part on aimerait corriger nos erreurs, d'autre part le gameplay ne conserve pas des bases cohérentes tout au long de l'épopée. Au début par exemple, les combos physiques et élémentaires de Kress sont excellents, alors que par la suite ils deviennent contre-productifs, rendant nos décisions initiales obsolètes et décevantes. Choisir les jobs comme personnaliser ses personnages devrait être une partie amusante de l'aventure qui nous apporte de la satisfaction, pas un dilemme cornélien qui nous donne sans cesse le goût amer de s'être planté.
Plutôt que de nous mettre d'office face à huit personnages bien définis, mais à personnaliser - ce qui est aussi long que fastidieux en début de partie - Astria Ascending aurait sans doute gagné à trouver un twist scénaristique pour nous en proposer seulement 4 pour appréhender ses règles, avant de s'ouvrir sur d'avantage de possibilités en complétant l'équipe. L'aventure gagnerait en rythme et le joueur n'aurait pas l'impression de faire des choix fondamentaux à tâtons dans le noir.
Délicate Danse
Les combats sont également frustrants. D'une part, ils sont affectés par une grande mollesse technique comme structurelle : les animations très lentes sont couplées à beaucoup d'ennemis donc beaucoup de tours de jeu et les systèmes supposés apporter du rythme induisent de la latence. D'autre part, les mécaniques sont très riches. Trop. On y retrouve les classiques faiblesses et résistances aux éléments, qui donnent ici des points permettant de renforcer nos coups - mais également d'en perdre voire d'en donner à l'ennemi si on utilise les mauvaises compétences. Les indices visuels étant peu nombreux, il fautdonc apprendre par cœur les 8 points forts/faibles des 268 adversaires. Le jeu va même plus loin en rajoutant des résistances physiques qui ont le même effet et varient en fonction de nos armures. Chaque combat aléatoire contre la faune locale devient ainsi une petite partie d'échecs plutôt complexe si on essaye de bien faire.
Le premier problème, c'est que pour bien faire, il faut avoir les bons jobs, or on n'a pas le choix de notre équipe au début du combat et changer un personnage nous fait perdre un tour d'action. Certes, on peut remplacer sur un tour de jeu tout notre groupe, mais une fois le changement fait, on reste passif à regarder l'ennemi nous taper - longuement - en espérant ne pas subir d'attaques qui paralysent tous nos membres pendant 3 tours.
Le pire, c'est que ces échauffourées ne sont pas du tout difficiles. Avec un peu d'organisation, on en vient à bout facilement, mais lentement. Molles, longues et fastidieuses, ces batailles aléatoires n'apportent pas une grande satisfaction. On peut en plus facilement abuser du système pour tricher, en mettant les personnages affaiblis par une AoE de côté pour les soigner ensuite un par un ou en relançant le menu pour modifier le résultat d'une compétence aléatoire. Il aurait été judicieux par exemple de reprendre le système de FFX dans lequel on peut changer seulement un équipier à la fois, mais agir dès qu'il entre en scène, donnant un gameplay plus réactif et nous obligeant à nous adapter plutôt qu'à subir.
Le second problème, c'est que les points renforçant les compétences sont supposés nous permettre à la fois de rouler sur menu fretin, mais aussi d'apporter de la richesse et de la stratégie aux grands duels. Dans Bravely Default, on pouvait par exemple miser des tours d'action pour faire plusieurs attaques d'un coup, puis être vulnérable les tours suivants. Ici, on ne peut pas prendre le risque de jouer à crédit, donc on doit attendre que plusieurs tours soient écoulés en utilisant les bonnes compétences pour finalement accélérer la fin de la rixe. C'est aussi contre-intuitif qu'obligatoire. Les affrontements aléatoires deviennent aussi longs que les combats de boss et la diversité des résistances des adversaires ne permet pas d'accélérer le mouvement. En effet, nos AoE s'avèrent toujours à double tranchant et faire "attaque attaque attaque" en mode cerveau déconnecté ne marchera pas, car une partie des ennemis résiste aux attaques physiques.
Et les boss me direz-vous ? Là, on rencontre des problèmes majeurs d'équilibrage comme d'aléatoire. C'est très visible sur le tout premier Astrae qu'on affronte, qui peut soit nous rouler dessus en deux coups ultimes, soit se laisser sagement massacrer sans réagir. Le joueur n'a pas d'outils pour contrôler la situation et le combat se résume soit à de l'injustice soit à une promenade de santé. Dommage. Ça s'améliore par la suite, car on gagne des compétences, mais on n'est toutefois jamais à l'abri d'une succession d'attaques ravageuses qui déciment une équipe bien préparée. À l'inverse, le joueur travaille à descendre de grandes jauges de vie via de laborieuses et répétitives stratégies dont il ne faut pas dévisser sous peine de sanction immédiate.
J'ai conscience d'être dur vis à vis de ce système de combat, car ma déception est à la hauteur d'attentes qui dépassent le jeu. Rendre chaque échauffourée intéressante au lieu d'avoir une succession de rixes insignifiantes, donner à chaque action un véritable impact avec des conséquences, rendre utile chaque personnage – Astria Ascending propose le type d'affrontements que j'ai fantasmés pendant des années. Or, force est de constater qu'ici ça ne marche pas. Trop lents, trop lourds, trop complexes et paradoxalement sans enjeux, les combats sont hélas aussi difficiles à mener que faciles à gagner.
Malgré des qualités plastiques indéniables et un scénario plutôt original, Astria Ascending se prend beaucoup trop souvent les pieds dans le tapis faute de mettre en relation ses ambitions de grande ampleur avec des moyens inévitablement plus modestes. Artisan Studio aurait sans doute gagné à assumer ses contraintes pour donner à son titre des moyens de se distinguer plutôt que de chercher transposer la recette d'un AAA dans une production indé.
Il en résulte un jeu visuellement superbe, auditivement sublime, mais hélas mou, à la narration confuse, à l'exploration trompeuse, à la progression peu satisfaisante et aux combats fastidieux, rendant l'expérience somme toute décourageante. Toutefois, quelques améliorations comme la possibilité de respécialiser ses personnages, celle d'utiliser les armes de toutes ses classes ainsi que quelques astuces pour améliorer le rythme des combats afin de donner d'avantage la main au joueur face au menu fretin pourraient véritablement transfigurer l'expérience pour rendre des plus sympathiques une aventure qu'on aurait surtout envie d'aimer.
Test réalisé par Oulanbator sur PC à partir d'une version fournie par l'éditeur.
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Plateformes | Nintendo Switch, Ordinateur personnel, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One, Xbox Series X|S |
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Genres | Jeu de rôle (RPG), fantasy |
Sortie |
30 septembre 2021 |
Aucun jolien ne joue à ce jeu, aucun n'y a joué.
Réactions (1)
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